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Un théâtre délivré du drame[]

La dénomination de « théâtre postdramatique » a été explicitée[1] et popularisée[2] par le critique de théâtre allemand Hans-Thies Lehmann[3] dans son ouvrage Le théâtre postdramatique [4] publié en 1999 en Allemagne et en 2002 en France. Cet ouvrage analyse l'évolution des formes scéniques et textuelles du théâtre depuis les avant-gardes du début du XXe siècle rejetant le théâtre bourgeois classique, en répertorie les évolutions majeures et les acteurs emblématiques, puis, à la suite d'autre penseurs du théâtre, en conclut à l'émergence lente mais défintive d'un nouveau type de théâtre dans les 1980 et 1990 qualifié de théâtre postdramatique par analogie avec l'esthétique du postmodernisme qui s'est imposée depuis les années 1960.

Du théâtre élisabéthain au drame bourgeois de la fin du XXe siècle, qu'il ait été tragique, comique ou dramatique, le théâtre en Occident a longtemps fonctionné selon les mêmes principes directement hérités des principes aristotéliciens de la mimesis et de la catharsis. La scène s'organisait autour de l'interprétation d'un texte pré-écrit, intangible, qui avait le plus souvent pour objet la mise en perspective morale de conflits psychologiques entre des personnages, l'action étant portée par la (non) résolution de ces problématiques intersubjectives. Ibsen, Strindberg, ou Pirandello sont les derniers grands auteurs caractéristiques de ce théâtre de psychologie(s), et Jean-Paul Sartre celui d'un théâtre de situation(s). Texte dialogué, décors, costumes, voire des effets sonores étaient combinés par un metteur en scène en vue de mettre en relief le jeu des acteurs donnant voix au texte. Ce schéma narratif, directement hérité de la logique téléologique propre au judéo-christianisme, resserré autour des rapports des personnages interprétés qui fondent l'action tout en la faisant avancer est devenu aujourd'hui le mode narratif par excellence du feuilleton télévisé ou du cinéma, mais ne convient plus au théâtre en quête d'autres types de questionnements et d'esthétique.

Dès le début du XXe siècle, en France, des avant-gardes remettaient en cause ces conventions corsetant le plateau: Alfred Jarry, Antonin Artaud et son « théâtre de la cruauté », les surréalistes. En Russie soviétique, Meyerhold invente un tout nouveau théâtre, faisant à la mise en scène des apports décisifs dans l'organisation plurielle de l'espace scénique et un nouveau mode de jeu des acteurs. Avec le théâtre de l'absurde (Arthur Adamov, La dernière bande de Samuel Beckett, entre autres), le texte commence à devenir fragmentaire, presque hésitant et doutant de son "autorité", débarrassé de toute orientation morale de l'auteur, et gagne en épaisseur de sens induit. Puis, avec le développement des technologies de la scène dans la seconde partie du XXe siècle, de nouvelles esthétiques de scène sont apparues, tendant à un art total, parfois qualifié de transversal, croisant la chorégraphie, les arts de l'image cinéma ou vidéo, les arts plastiques, les compositions musicales et sonores, le cirque, et plus récemment toute la gamme des nouvelles technologies, le jeu de l'acteur, le texte et la narration logique entrant en osmose avec ces différents moyens néanmoins susceptibles de toujours faire sens sur scène, mais en sollicitant l'inventivité critique du spectateur plutôt qu'en lui délivrant une trame morale qu'il reçoit sur un mode passif. Il ne s'agit donc plus de susciter l'adhésion du spectateur, mais d'éveiller sa perception qu'il oriente ensuite à son gré. Ce qui devient essentiel n'est donc plus la fidélité de restitution d'un « texte de rôles » ou de son « message » - quelle qu'en soit la pertinence - mais la façon dont est organisé l'espace scénique, avec ou même sans texte, pour faire naître des émotions signifiantes. Il n'est donc pas étonnant que le renouvellement textuel de ce nouveau type de théâtre soit venu d'abord, non pas des auteurs dramatiques à textes traditionnels - eux-mêmes dépassés par cette évolution dictée par les contraintes de scène et qui y perdent nombre de leurs prérogatives anciennes - mais des écritures poétiques et des poètes vers lesquels se sont tournés les metteurs en scène, tant pour la force suggestive de ces textes que leur aspect fragmentaire permettant une réécriture scénique englobant les aspects textuels, scénographiques et les problématiques à interroger par un jeu non psychologique - ou dés-affecté - des comédiens.

A cette transgression des genres, en matière esthétique, fait écho une redéfinition des statuts d'auteur et de metteur en scène, l'un et l'autre n'étant plus dans un statut de dépendance réciproque, et se confondant même de plus en plus fréquemment : le metteur en scène devient l'auteur de ce qui se passe sur scène, et l'auteur le metteur en scène, voire le scénographe, de son matériau textuel.

Les auteurs et metteurs en scène[]

  • Alfred Jarry
  • Antonin Artaud
  • Samuel Beckett[5], prix Nobel de littérature
  • Meyerhold
  • Roger Blin
  • Robert Lepage
  • Robert Wilson
  • Heiner Müller
  • Jan Fabre
  • Peter Brook
  • Peter Handke
  • Marguerite Duras
  • Bernard-Marie Koltès
  • Michel Deutsch
  • Jean-François Peyret
  • Tadeusz Kantor
  • Jerzy Grotowski
  • Elfriede Jelinek, prix Nobel de littérature
  • Pina Bausch
  • Werner Schwab
  • Matthias Langhoff
  • Maguy Marin
  • Anne Teresa De Keersmaeker
  • Heiner Goebbels
  • Jan Lauwers
  • Edward Bond
  • Anatoli Vassiliev
  • Living Theatre
  • Claude Régy
  • Théâtre du Radeau
  • Franck Laroze
  • Olivier Cadiot
  • Ludovic Lagarde
  • Frank Castorf
  • Meg Stuart
  • William Forsythe
  • Hauke Lanz
  • Klaus Michael Grüber
  • Tg Stan
  • Giorgio Barberio Corsetti
  • Georges Gagneré
  • Jean-Claude Gallotta
  • Josef Nadj
  • Societas Raffaello Sanzio
  • Aurélien Bory

Bibliographie[]

  • Le théâtre postdramatique, de Hans-Thies Lehmann, L'Arche éditeur, 2002 - ISBN 2-85181-511-3
  • Jean-Louis Besson, s.v. « Postdramatique », dans Poétique du drame moderne et contemporain. Lexique d'une recherche, numéro spécial de la revue « Études théâtrales », n° 22, 2001.
  • « Postdramatique / théâtre de l'image », un dossier dans Registres. Institut d'études théâtrales, n° 8, 2003, p. 51-75.
  • Critical theory and performance, dir. Janelle G. Reinelt et Joseph R. Roach, édition revue et augmentée, The University of Michigan Press, collection « Theater — theory / text / performance », Ann Arbor, 2007.
  • Jean-Pierre Sarrazac, « Reprise (réponse au postdramatique) », dans La réinvention du drame (sous l'influence de la scène), numéro double 38-39 de la revue « Études théâtrales », 2007, p. 7-18.

Liens externes[]

Groupe de recherche de la Fédération internationale de recherche théâtrale (FIRT)

Références[]

  1. En proposant de retenir le terme de « postdramatique », Lehmann rappelle qu'il a lui-même formé le néologisme, à la fin des années 1980, dans une opposition avec le caractère « prédramatique » de la tragédie attique  ; Le théâtre postdramatique, op. cit., p. 20 et 33.
  2. En France, bien que récent, son concept de « théâtre postdramatique » a déjà été validé par l'Université : on le retrouve désormais dans les intitulés de recherches, cf. par exemple sur le site du catalogue du SUDOC (Système Universitaire de Documentation)
  3. Présentation de Hans-Thies Lehmann sur Wikipédia
  4. Présentation de l'ouvrage sur le site de l'Arche éditeur
  5. Cité par H.-T. Lehmann dans la première partie de son ouvrage, notamment en raison de ses derniers textes tels que Quad ou La dernière bande tournant le dos à la prégnance du texte pour privilégier le sens induit par la scénographie décrite par des didascalies très précises.


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