Art contemporain
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Boris Achour, né à Marseille en 1966, est un artiste français. Vit à Paris.

Il est co-fondateur, en 1999, de Public>, à Paris, un espace d'art contemporain géré par des artistes et curateurs indépendants. En 2002, il co-fonde Trouble, une revue d'essais critiques, avec Claire Jacquet, François Piron et Émilie Renard, qui sont rejoints, en 2005, par Guillaume Désanges.


Expositions récentes[]

2002

  • Flash Forward, Galerie Chez Valentin, Paris, France
  • Cosmos, Kunstverein Freiburg, Allemagne; Palais de Tokyo, Paris, France

2003

  • Jouer avec des choses mortes, Les Laboratoires, Aubervilliers, France
  • Non-Stop Paysage, Fri-Art, Fribourg, Suisse
  • Brume, REMO-Osaka Contemporary Art Center, Osaka, Japon

2004

  • Spirale, Espace des Blancs Manteaux, Nuit Blanche, Paris, France
  • Ici et autrefois et ailleurs et maintenant, Fondation Caixa, Lleida, Espagne
  • Cosmos, Red District, Marseille, France

2006

2008

Bibliographie[]

Unité, Les Laboratoires d’Aubervilliers, copublication de l'ENSBA, Paris, FRAC PACA, juin 2005. Entretien avec François Piron, textes de Guillaume Désanges, Chris Gilbert et Émilie Renard, anglais/français, 152 p.

Semaine, entretien avec Éric Mangion, Éditions Analogues, avril 2004, 12 p.

Cosmos, Kunstverein Freiburg, Palais de Tokyo, Éditions Florence Loewy, 2002, 24 p. Textes de Dorothea Strauss : Mind travelling et de Émilie Renard : De nombreuses poules colorées placées côte à côte.

Son œuvre[]

Cet article s'inspire en grande part du texte Signs and Wonders, écrit par Guillaume Désanges dans le catalogue Unité (2005).

L’œuvre de Boris Achour frappe au premier abord par sa radicale hétérogénéité formelle et conceptuelle. Vidéos, sculptures, dessins, peintures, performances, installations, pièces sonores... c’est presque toute la gamme des savoir-faire de l’art contemporain qui est sollicitée par l’artiste, dont chaque projet paraît circonscrire un propos spécifique induisant sa propre logique technique, adaptée au sujet. Des compétences contextualisées, jamais capitalisées et remises en cause à chaque nouvelle pièce. Trajectoire modèle billard plus que bowling. Zigzags. À l’encontre de toute logique stylistique, Achour cherche des échappatoires aux systèmes qu’il met en place. Moins esquive, pourtant, que stratégie du déplacement perpétuel, de l’investigation nerveuse d’une œuvre à l’autre. Un cauchemar pour la critique d’art à tendance synthétique, qui ne craint rien plus que l’indétermination stylistique et notionnelle. Comment aborder « globalement » un travail si disparate ? Une première proposition : s’y perdre. Battre au rythme disjonctif de l’œuvre par l’exercice de la libre association d’idées, en dégageant des lignes d’appréhension plus intuitives que posées a priori dans la multitude informe de ces formes.


Libérez Les Associations !

(Multitude > Série) Commençons donc par cette idée de multitude. Pour dégager un premier paradoxe : au sein même de cette hétérogénéité criante les travaux d’Achour renvoient souvent à la sérialité. Des collections d’affiches (Ici et autrefois et ailleurs et maintenant) aux 200 jaquettes de films vidéo (Cosmos), des séries photographiques (Sommes) aux suites d’actions (Actions-peu), des agencements sculpturaux (Contrôle / Non-Stop Paysage) aux références à la « série » télé (Zooming / Autoportrait en coyote). Mais ces travaux répétitifs agissent en rafale unique et ne sont jamais repris, comme s’il s’agissait de commencer sans cesse une nouvelle collection. Déclinaisons précaires. Successions interrompues. Changement de casting à chaque épisode. Cette stratégie du renouvellement permanent permet surtout de maintenir l’œuvre dans une immaturité volontaire, offrant les conditions d’un rapport immédiat et impropre au monde. Une œuvre – et un artiste – en « formation continue ». Cette salutaire immaturité, l’écrivain Bruno Schultz la définissait comme le meilleur « laboratoire de formes », « usine à sublimation et à hiérarchisation ». À la tentation du système unique, Achour privilégie donc l’exploration vive de multiples systèmes de signes. Tous uniques.

(Uniques > Unité) Dès lors, comme la récente pièce justement intitulée Unité ! le révèle, la propriété unifiante est à la fois problématique et fondatrice chez Achour. Ses agglomérations opèrent sous la forme de l’uniformisation délibérée d’éléments de nature et de facture diverses. L’image du cosmos, largement empruntée par l’artiste (il est vrai principalement en référence au roman éponyme de Gombrowicz), est à cet égard emblématique, en tant que modèle formel de l’unité dans la diversité maximale. Mais aussi comme paradoxal système d’équilibre physique obtenu par l’attraction de forces contraires. À travers l’art, Achour semble chercher une hypothétique harmonie, voire une alliance des puissances, toujours fugitives, dans le chaos des formes du monde. Dans cette perspective, l’idée de compréhension évoquée plus haut est véritablement fondatrice de l’œuvre achourienne, mais bien envisagée dans sa polysémie : comprendre, au sens de saisir le monde de manière intelligible, mais tout autant l’agglomérer, l’avaler, le posséder dans sa globalité. C’est pourquoi, selon le modèle fractal, chaque motif est travaillé à la fois dans le détail et dans la masse.

(Masse > Passivité) D’ailleurs, une autre image récurrente dans l’œuvre d’Achour concerne la passivité, l’inertie des corps, mais toujours figurée dans une dialectique conditionnelle avec l’action à venir. Des formes transitionnelles du repos révélant le potentiel dynamique – et donc fantastique – de l’amorphe. On-Off. Soit : l’artiste actif dans la ville (Stoppeur, Actions-peu) ou en train d’y somnoler (Sommes). Une exposition activée par intermittence avant de retomber dans la léthargie (Non-stop paysage). Des animations de personnages sur décors fixes (Flash forward). Un parc d’attraction désert et fantomatique à stimuler (Jouer avec des choses mortes). Un cadavre qui ne cesse de se redresser (Démeurs). Options d’activation-désactivation de l’objet. Accélération (Operation Restore Poetry, Totalmaxigoldmachinemegadancehit2000) et ralentis (Spirale, Brume). Intermittences du spectacle. Achour représente les ambivalences d’états physiologiques et mécaniques opposés comme pour rappeler l’énergie potentielle, activable, tendue de l’objet d’art (mais toujours de manière subsidiaire). Puissances en repos, ses œuvres sont des batteries rechargeables à l’infini, accumulatrices d’énergie dont la raison est entièrement déterminée en rapport à une action différée.

(Action > Travail) Ce principe inchoatif est possiblement l’écho d’un positionnement professionnel de l’artiste. Alternativement consommateur et travailleur actif, Achour est un absorbeur de références – se nourrissant des idées et des formes qui l’entourent – dans une visée interventionniste. Mais également : dans une forme d’épuisement. Ni simple manipulateur ni donneur d’ordres, Achour est fondamentalement un constructeur acharné,jusqu’au-boutiste, sans délégation de compétence. Do it myself. L’aspect fini de ses réalisations garde toujours perceptibles ces traces d’un traitement manuel de la matière. Artisanal. Dans La Pensée sauvage, Claude Lévi-Strauss établit une éclairante distinction entre la connaissance projetée, distante, de l’ingénieur et la science première, immédiate, du bricoleur. Précisément, tandis que le premier recourt à un nombre infini de « concepts » pour interroger l’univers, c’est à partir d’un nombre fini de « signes » à portée de main que le second opère, déjouant les obstacles de la physique pour construire ses modèles. Des signes – entités vacillantes entre image et idée – comme matériau de base, dont les « possibilités demeurent limitées par l’histoire de chaque pièce, et par ce qui subsiste en elle de prédéterminé ». Ainsi travaille Achour, opérant par le biais de signifiants autonomes, ontologiquement déjà déterminés, manœuvrant avec « d’anciennes fins qui sont appelées à jouer le rôle de moyens ». Pour Lévi-Strauss, d’ailleurs, c’est ce modèle spéculatif combinatoire qui assure le lien entre les sciences exactes et naturelles et les pensées mythiques. Isomorphisme des systèmes : le bricolage et la magie (= l’art) procèdent d’un même mécanisme d’observation et de recomposition des signes.

(Mythe > Fiction) Achour entretient un rapport décalé, on dirait plus précisément désynchronisé, à la fiction. Fasciné par l’efficacité émotionnelle de l’entertainment (« Pourquoi les artistes contemporains ne font-ils pas des choses contemporaines ? Comme par exemple des clips vidéo ! Des animes flash à télécharger ! Des jeux de société, des shows télévisés. »), l’artiste-scénographe, accessoiriste, décorateur, machiniste, régisseur, se concentre sur les hors-champs du spectacle. Décadrage sur les contenants (matériels) plus que les contenus (narratifs). Le générique ou le story-board sans le film, le boîtier vide et la jaquette sans la vidéo, le zoom sans le plan d’intérieur, la silhouette incrustée dans le mur, l’image publicitaire sans slogan (Un monde qui s’accorde à nos désirs), ou le slogan sans la pub (I LOVE) : autant de signes intransitifs, gimmicks orphelins détachés de leur téléologie scénaristique mais qui, par réduction métonymique, révèlent comme une essence autonome de formes surdéterminées. Des sensations « pures ». Révisions des classiques. Brume : retour sur les gestes usuels du film de gangsters, tendance urbano-kitscho-asiatique. Langueur, décor postmoderne, flingues, baskets et blousons de cuir, mais sans plus d’intrigue. « Embrouille » généralisée. Achour scénarise les formes artistiques en déscénarisant des formes de l’entertainment. Son intérêt pour la culture populaire concerne finalement moins les signifiés (anthropologiques ou culturels) que les signifiants (équivalents visuels des « images-acoustiques »). Des signifiants libres, archétypes infiniment associables qui, exposés tels quels, agrègent les caractères à la fois attractifs et frustrants des bandes-annonces d’histoires qu’on ne racontera pas.

(Frustration > Fétichisme) À travers cette mise en œuvre d’une absence fondamentale – de contenu, de scénario – Achour esquisse un subtil rapprochement entre l’œuvre d’art et le fétiche. Des œuvres possiblement appréhensibles comme substituts d’une multitude d’objets manquants, suscitant un imaginaire de type libidinal abordé de manière plus ou moins allusive (les jaquettes fétichistes thématiques de la série Cosmos, les joysticks, le verre de lait débordant, la saucisse géante), via l’utilisation de certaines matières (les collants féminins de Jouer avec des choses mortes, le plastique noir moulant un manège enfantin de Sans titre (Kiddy Ride) ou dans l’exhibition même d’une iconophilie avide. Mais chez Achour, ce penchant pour la symbolique et le refoulé des formes signe autant un rapport transactionnel sexualisé à l’objet (ou à la marchandise) qu’un retour, plus joyeux, jubilatoire, à l’idolâtrie. Fan de. Alors que les empreintes préhistoriques de mains sur les posters mainstream de Ici et autrefois et ailleurs et maintenant révèlent le primitivisme refoulé des icônes de la sous-culture, les sculptures-métaphores de Jouer avec des choses mortes, manipulées par d’étranges adorateurs, perdent peu à peu leur référence culturelle pour reconquérir – dans l’absurde – une fonction cultuelle. Actualisations totémiques des objets quotidiens. « Loin d’être, comme on l’a souvent prétendu, l’œuvre d’une “fonction fabulatrice” tournant le dos à la réalité, les mythes et les rites offrent pour valeur principale de préserver jusqu’à notre époque, sous une forme résiduelle, des modes d’observation et de réflexion qui furent (et demeurent sans doute) exactement adaptés à des découvertes d’un certain type ; celles qu’autorisait la nature, à partir de l’organisation et de l’exploitation spéculatives du monde sensible en termes de sensible. » Générations spontanées et incontrôlables de formes d’art premier au cœur de la société capitaliste. Ce penchant fétichiste réside aussi, chez Achour, dans une artificialité volontairement outrancière des œuvres, dont les mécanismes ne sont jamais cachés. La facture des récents films (Brume, Spirale, Jouer avec des choses mortes) dont l’image apparaît volontairement filtrée, ralentie, presque irréelle, fait montre d’une nouvelle artificialité symbolique. Rappelons que le voile représente, chez Lacan, le dernier degré du fétichisme « celui sur lequel peut en quelque sorte s’imager, c’est-à-dire s’instaurer comme capture imaginaire, comme place du désir, cette relation à un au-delà qui est fondamental de toute instauration de la relation symbolique.»

(Désir > Désir) Les formes de la culture populaire relèvent à la fois de la régression, du fantasme collectif et de la cristallisation de désirs. Les références subculturelles qui informent le travail d’Achour, aussi triviales apparaissent-elles – la pizza, le gyrophare, la borne, la lambada – ne sont donc elles-mêmes que des sommes de systèmes de production, de désirs (... et de délires, ajouterait Gilles Deleuze). En ce sens, si ces œuvres aiguillonnent certes certains de nos instincts les plus basiques, c’est toujours avec une jubilation assumée. Dans la sensualité et l’immédiateté. Dans un émerveillement au sensible plus que pour une dénonciation à visée politique, Achour pointe l’apparition miraculeuse de formes abouties de la culture populaire dans le chaos du monde. Ce faisant, l’artiste fait signe à la fois d’un sincère intérêt intellectuel – quasi didactique (cf. ses nombreuses discussions avec des « experts » autour des sujets de ses pièces) – et d’un indéfectible amour pour ces fins de chaînes sémiotiques. Paradoxe ? Là peut-être réside l’aspect le plus optimiste et discrètement puissant du travail : dans cette bienveillance, cet accord fondamental avec les choses qui seul permet une véritable efficience critique.

Le travail de Boris Achour signale de manière exemplaire comment les formes d’une œuvre, parfois contingentes à des économies particulières assumées à défaut d’être préméditées, doivent être observées avec réserve. Si on a pu assimiler l’artiste à certaines démarches artistiques prônant la discrétion, l’humilité, la micro-résistance, voire la « faiblesse », par un parasitage minimal sur les signes du réel trop nombreux et puissants pour être combattus frontalement (etc., etc.), il est vraisemblablement temps de réviser cette position. Depuis ses débuts, c’est avec une posture véritablement démiurgique qu’Achour dispose ses pièces (comme aux échecs), proposant, par touches successives et incessants déplacements, une scénarisation des formes de l’art dans une indétermination permanente entre hommage et impertinence. Et avec pour dessein implicite de réconcilier, sous la forme du canular s’il le faut, les logiques apparemment antagonistes de l’art et de la culture.

Liens externes[]

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